vendredi 4 novembre 2011

Traitements utilisés en stomatologie et grossesse


C’est au moment de l’embryogenèse (12 premières semaines de
grossesse) que le risque tératogène d’un médicament est maximal.
La majorité des médicaments traverse la barrière fœtoplacentaire de
façon plus ou moins importante.

ANTIBIOTIQUES
La plupart passent la barrière fœtoplacentaire ; certains sont contre-
indiqués en raison des risques fœtaux : dyschromies dentaires avec
les tétracyclines qui s’accumulent dans les os et les dents ; fentes
palatines avec l’association triméthoprime-sulfaméthoxazole
(Bactrimt) ; risques de malformations osseuses avec les quinolones.
Les bêtalactamines (pénicillines et céphalosporines) et les macrolides
n’ont pas de toxicité fœtale.

ANTIFUNGIQUES
Les mycoses buccales sont traitées en première intention par des
antifongiques utilisés par voie topique : amphotéricine B
(Fungizonet), nystatine (Mycostatinet), myconazole (Daktarint).
Ces produits ne sont pas absorbés par la muqueuse digestive et sont
sans risque pour le fœtus. Les antifungiques à action systémique,
fluconazole (Triflucant) et kétoconazole (Nizoralt), sont
contre-indiqués.
ANTIVIRAUX
Aucun effet tératogène n’a été jusqu’à présent rapporté avec
l’aciclovir (Zoviraxt). De même, il n’a pas été rapporté de toxicité
fœtale ou de tératogénicité avec les traitements antirétroviraux, ainsi
que les antiprotéases utilisés dans le traitement de l’infection à VIH
chez la femme enceinte [7]
.
ANTALGIQUES ET ANTI-INFLAMMATOIRES
Le paracétamol est l’antalgique de choix pendant la grossesse ; en
revanche, l’utilisation de l’acide acétylsalicylique est discutable dans
la période de pré-partum, car il peut être responsable d’un
allongement du travail, d’hémorragies placentaires et néonatales.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont déconseillés pendant
toute la durée de la grossesse en raison d’un risque de fermeture du
canal artériel.
La corticothérapie générale n’est pas contre-indiquée au cours de la
grossesse ; elle impose les précautions d’emploi habituelles. Elle n’a
pas de retentissement sur la fonction corticosurrénale du fœtus. À
doses élevées, elle expose la mère au risque d’hyperglycémie et de
rupture prématurée des membranes avec accouchement prématuré.
La corticothérapie topique fréquemment utilisée en stomatologie
(lichen plan, aphtoses) peut par conséquent être utilisée.

ANESTHÉSIQUES
Il est recommandé d’utiliser des produits non adrénalinés, surtout
lors du premier trimestre, afin d’éviter des vasoconstrictions qui
pourraient être responsables de contractions utérines et
d’avortement.

THALIDOMIDE
Il faut rappeler la contre-indication absolue de prescrire cette
molécule, parfois utilisée en stomatologie (aphtoses buccales géantes
ou sévères récidivantes), chez une femme, sans une contraception
rigoureuse et efficace. Utilisée au cours de la grossesse, elle expose à
un risque majeur de phocomélies. Une grossesse survenant en cours
de traitement impose son interruption thérapeutique, la femme
ayant été avertie de cette éventualité avant de débuter le traitement
avec consentement signé.

RÉTINOÏDES GÉNÉRAUX ET LOCAUX
Les dérivés de la vitamine A acide utilisés par voie générale sont
formellement contre-indiqués lors de la grossesse, faisant courir le
risque de fœtopathies. Une exposition accidentelle au traitement
pendant une grossesse impose une interruption thérapeutique. Ils
ont certaines indications en pathologie buccale en applications
topiques (leucoplasies, lichen plan dans sa forme kératosique, langue
noire villeuse). Le passage systémique infime de ces traitements
topiques peut faire courir le risque d’un passage transplacentaire de
ces molécules qui sont à proscrire pendant la grossesse.


EXAMENS RADIOLOGIQUES
Des clichés radiographiques sont parfois nécessaires avant un
traitement dentaire. L’irradiation secondaire à la réalisation de
radiographies endo- ou exobuccales est très faible, inférieure aux
doses tératogènes ; de plus, la source est éloignée du bassin. Il n’y a
donc pas de contre-indication à effectuer ces clichés et l’utilisation
d’un tablier de plomb relève plus d’une précaution médicolégale
que médicale. L’iode utilisée notamment dans les produits de
contraste en radiologie est fœtotoxique, donc formellement contre-
indiquée pendant la grossesse.

Pathologies stomatologiques et grossesse


INFECTIONS VIRALES
La primo-infection herpétique peut se rencontrer chez l’adulte et pose
la question, chez la femme enceinte, du risque de transmission
fœtale et de ses conséquences sur l’enfant à naître. L’herpès néonatal
est une complication redoutable, essentiellement secondaire à un
herpès génital (herpès simplex virus [HSV] 2) lors de
l’accouchement, mais il existe des cas non expliqués peut-être liés à
une contamination lors d’une primo-infection buccale (HSV1). Il est
donc important de diagnostiquer une gingivostomatite herpétique
de primo-infection chez la femme enceinte et de la traiter avec de
l’aciclovir.
Au cours du sida, le risque de transmission du virus de
l’immunodéficience humaine (VIH) au fœtus par voie
transplacentaire ou lors de l’accouchement a été diminué de manière
significative ces dernières années grâce aux traitements
antirétroviraux administrés à la mère séropositive pendant sa
grossesse. Une prise en charge spécialisée est donc indispensable.
La parotidite ourlienne peut s’observer chez des femmes enceintes
non immunisées, mais le risque fœtal n’est pas connu. Par
précaution, il est recommandé l’injection d’immunoglobulines
spécifiques en cas de contage.


SYPHILIS
Son dépistage est obligatoire lors de la déclaration de la grossesse
avant la quinzième semaine. Une syphilis primaire (chancre buccal)
survenant au cours de la grossesse entraîne une contamination
fœtale avec risque d’avortement, de mort néonatale ou de syphilis
congénitale. Le diagnostic est confirmé par les sérologies et le
traitement repose sur la pénicilline ou les macrolides en cas
d’allergie, en sachant que ces derniers traversent peu la barrière
fœtoplacentaire et sont peu efficaces sur l’infection fœtale.

APHTOSE BUCCALE
Aucun lien précis n’a été rapporté entre la grossesse et les aphtoses
buccales récidivantes. Aucune hypothèse hormonale n’explique
notamment la survenue d’aphtose buccale cataméniale. Au cours de
la grossesse, tous les cas de figure peuvent s’observer : exacerbation
d’une aphtose buccale récidivante ou amélioration, voire disparition
transitoire, de cette même forme qui parfois réapparaît après
l’accouchement ; enfin, démarrage d’une aphtose buccale récidivante
qui va persister après l’accouchement. Si elle est invalidante, la
maladie va surtout poser la question de la poursuite ou de la mise
en route d’un traitement de fond. L’Isoprinosinet n’est pas contre-
indiquée. L’expérience acquise au cours de la maladie périodique
montre que le traitement par la colchicine chez les femmes enceintes
n’entraîne pas d’embryofœtopathie, ce qui autorise son emploi dans
le cadre d’aphtoses buccales sévères. La thalidomide est une contre-
indication absolue.

AUTRES PATHOLOGIES MUQUEUSES
Le lichen plan, les leucoplasies, l’érythème polymorphe, etc, ne
semblent pas être influencés par la survenue d’une grossesse et n’ont
pas de retentissement fœtal. Le principal problème soulevé est celui
de leur traitement, qui doit être discuté en collaboration avec
l’équipe gynéco-obstétricale

Pathologies buccodentaires en rapport avec la grossesse


SOINS DENTAIRES
Un vieil adage disait « une grossesse, une dent » ; contrairement à 
cette idée fréquemment répandue, aucune étude n’a démontré que
la grossesse favorisait la survenue de caries.
Dans la crainte d’un risque à la fois fœtal et maternel, les praticiens
ont souvent une appréhension pour effectuer des soins dentaires.
Certains peuvent être repoussés jusqu’à la naissance du bébé, mais
en cas d’urgence, pulpite par exemple, il n’y a pas de contre-
indication à effectuer les gestes nécessaires chez la femme
enceinte [4]
. Quelques précautions simples doivent être respectées :
utiliser des anesthésiques locaux non adrénalinés ; limiter la durée
des soins, surtout en fin de grossesse quand le décubitus dorsal peut
entraîner une compression de la veine cave provoquant des
malaises. À la suite des interrogations concernant l’éventuelle
toxicité des dérivés mercuriels secondaires au relargage de mercure
à partir des amalgames dentaires, il est recommandé d’« éviter par
prudence la pose et la dépose d’amalgames pendant la grossesse et
l’allaitement » (Journal officiel, 2 janvier 2001). Là encore, une
situation d’urgence dentaire peut conduire à la dépose d’un
amalgame pendant ces deux périodes.

PATHOLOGIE MUQUEUSE
Gingivite
La fréquence des gingivites gravidiques est difficile à évaluer ; elle
est variable selon les auteurs (de 10 à 70 %). L’importance de
l’atteinte est corrélée au niveau socioprofessionnel, à l’état dentaire
préalable, au degré d’hygiène buccodentaire [6]
. Elle peut s’observer
chez une femme dont l’hygiène dentaire est correcte. Elle est
expliquée en partie par les altérations tissulaires dues aux
modifications hormonales mais également par des changements
dans les habitudes alimentaires. La gingivite débute à partir du
deuxième mois de la grossesse et tend à s’atténuer vers le huitième
mois. Sans aucun caractère particulier, elle est secondaire à
l’accumulation de plaque dentaire sur la gencive.
Au départ, la gencive marginale, au collet des dents, devient
œdématiée, rouge, perd son aspect granité. À un stade ultérieur, les
papilles interdentaires deviennent congestives et la gencive saigne
au moindre attouchement. La gingivite peut être localisée à un
secteur dentaire ou être plus étendue, voire généralisée. Elle est peu
douloureuse et en conséquence souvent négligée, d’autant que le
saignement des gencives n’est pas toujours considéré comme étant
pathologique. Une atteinte parodontale au cours de la grossesse
pourrait être associée à un risque plus élevé de naissance
prématurée.
Le traitement des gingivites gravidiques ne diffère pas de celui des
gingivites banales. Il repose sur une amélioration de l’hygiène
buccale (brossage et fil dentaire) et alimentaire, associée au
détartrage. Une antibiothérapie n’est pas indiquée dans les
gingivites car elles sont complètement réversibles après suppression
mécanique de la plaque dentaire.
L’évolution vers des formes hémorragiques sévères ou
ulcéronécrotiques ne doit pas faire méconnaître une pathologie
générale sous-jacente (hémopathie, syndrome d’immunodéficience
acquise [sida]).


Épulis
Cette tumeur gingivale, qui ne se rencontre pas exclusivement au
cours de la grossesse, est le principal motif de consultation de la
femme enceinte en stomatologie. Elle survient essentiellement
pendant les 2 derniers trimestres de la grossesse ; sa fréquence de
survenue est estimée à 5 %.
C’est une tumeur gingivale nodulaire (fig 1), siégeant entre deux
dents, parfois en bissac quand elle s’extériorise à la fois du côté
palatin ou lingual et du côté labial ou jugal. Elle est pédiculée ou
sessile, rouge, indolore et saigne au moindre contact. La
gingivorragie peut être exceptionnellement incoercible, difficilement
contrôlable par les moyens d’hémostase locale [9]
. L’épulis peut être
volumineuse (fig 2), pouvant entraîner un certain degré de mobilité
dentaire mais sans déplacements dentaires.
Il n’y a pas de spécificité histologique : l’épithélium est normal ou
acanthosique ; le chorion est hypervascularisé avec un infiltrat
inflammatoire dense, essentiellement plasmocytaire. L’étiologie est
inconnue ; des facteurs locaux sont parfois incriminés (traumatismes,
restaurations dentaires défectueuses) associés à une hygiène buccale
insuffisante ; le plus souvent, aucune cause locale n’explique la
survenue de ces lésions. Les facteurs hormonaux sont prépondérants
puisque ces épulis régressent après l’accouchement ou à l’arrêt de
l’allaitement et récidivent lors des grossesses ultérieures, souvent
plus précocement et plus volumineuses.
L’attitude thérapeutique est à adapter à chaque cas, la difficulté
n’étant pas d’intervenir chez une femme enceinte mais la récidive
rapide de la lésion « hormonodépendante ». Une petite tumeur,
siégeant dans un secteur dentaire non visible, saignant peu et
débutant en fin de grossesse, peut être laissée en place et sa
régression est contrôlée après l’accouchement. À l’inverse, si la
lésion débute plus tôt, siège dans un secteur visible, saigne
facilement, l’excision chirurgicale ou la photocoagulation au laser
CO2 peuvent être envisagées, sous anesthésie locale. La lésion
récidive généralement dans les semaines suivantes. Une alternative
au geste chirurgical est la cryothérapie, qui est facilement effectuée
sans anesthésie et permet de maîtriser les saignements pendant
quelques semaines ; elle peut être renouvelée plusieurs fois et sans
risque jusqu’à l’accouchement. Une antibiothérapie à bonne
diffusion gingivale (azithromycine par exemple) améliore également,
temporairement, les lésions.
En post-partum, une exérèse chirurgicale sous anesthésie locale est
parfois nécessaire sur des lésions résiduelles.
Si l’épulis au cours d’une grossesse est banale, elle ne doit pas faire
méconnaître l’existence de tumeurs gingivales malignes [2]
(hémopathies, carcinomes épidermoïdes, ostéosarcomes), suspectées
sur des lésions rapidement évolutives, entraînant des mobilités
dentaires par envahissement de l’os alvéolaire.
Devant une telle suspicion, l’état de grossesse ne doit pas faire
retarder la conduite diagnostique ; une biopsie peut être pratiquée
sous anesthésie locale et des clichés radiographiques effectués. La
prise en charge d’une néoplasie survenant au cours d’une grossesse
impose une prise en charge pluridisciplinaire cancérologique et
obstétricale.
Pemphigoïde gravidique
C’est une dermatose bulleuse auto-immune de la jonction
dermoépidermique avec prédisposition génétique [1]
. Elle débute au
deuxième ou troisième trimestre de la grossesse, plus rarement après
l’accouchement. L’éruption cutanée est prurigineuse, constituée de
plaques urticariennes, de bulles, débutant dans la région
périombilicale puis s’étendant, pouvant atteindre le visage et la
muqueuse buccale. Le diagnostic est confirmé par l’examen
histologique qui retrouve un décollement sous-épidermique ;
l’immunofluorescence directe montre des dépôts linéaires de C3 sur
la jonction dermoépidermique. Le traitement repose sur les
antihistaminiques anti-H1, la corticothérapie topique ou générale
selon l’importance des lésions. Le pronostic fœtal est bon, avec
cependant un risque d’hypotrophie et de prématurité. Dans
quelques rares cas, le nouveau-né a des lésions cutanées transitoires.
La maladie comporte un risque de récidive lors des grossesses
ultérieures.

MODIFICATIONS SALIVAIRES
La sialorrhée de la grossesse est une constatation fréquente. Elle peut
être en rapport avec les perturbations digestives fréquentes au cours
de la grossesse (nausées, reflux gastro-œsophagien). Elle entraîne
rarement un inconfort majeur



Influence des hormones œstroprogestatives sur la cavité buccale


La gencive contient des récepteurs pour les hormones stéroïdes.
Dans la gencive inflammatoire, le métabolisme de la progestérone
est deux à trois fois plus élevé que dans la gencive saine ; il y a donc
peu de forme active. Au cours de la grossesse, ce métabolisme
gingival n’augmente pas ; la concentration de forme non
métabolisée, donc active, est alors importante et favoriserait
l’augmentation de la perméabilité des vaisseaux [8]
. Par ailleurs,
l’inhibition de la migration des cellules de l’inflammation et l’action
immunosuppressive de la progestérone sur les tissus buccaux
favorisent la prolifération de certains germes. Toutes ces
modifications physiologiques pourraient expliquer les réactions
gingivales inflammatoires exagérées rencontrées au cours de la
grossesse.